Les débuts n’ont pas été faciles. J’ai
participé directement à la création de
la chambre de commerce russe, j’en
fais partie depuis le commencement
et je peux affirmer qu’une très
longue distance a été parcourue
depuis lors. Nous avons plongé dans
l’économie de marché, qui était pour
nous table rase. Nous avions à mettre
en place une institution d’assistance
au progrès de la libre entreprise dans
la réalité où celle-ci était quasiment
inexistante… L’ancienne économie
s’était écroulée et la nouvelle était
encore dans ses couches…
Aujourd'hui, la CIFR est l'association
la plus importante du monde des
affaires en Russie. Quand la journée
de travail ne fait que commencer à
Moscou, elle s’achève déjà à l’Est, sur
la côte duPacifique. Plus de 17millions
de kilomètres carrés, 1/8 de la super-
ficie terrestre, 9 fuseaux horaires dans
un seul pays, on a de la peine à saisir
la complexité de la tâche. Comment
communiquez-vous avec vos collè-
gues de l’est de la Russie ?
Nous sommes obligés de nous lever
deux heures avant l'heure habituelle
pour contacter nos collègues… Plus
sérieusement, ce n’est pas le plus
compliqué à l’ère de l'Internet. Le
réseau des CCI compte plus de 180
chambres territoriales et municipales.
Elles sont autonomes, en ce qui
concerne les activités dans leurs
territoires, naturellement. L’adhésion
à la CCI est facultative. Plus de
53 000 sociétés et entrepreneurs
individuels sont membres de la
CCIFR, ainsi que quelque 200 unions,
associations et confréries : de bou-
langers, de laitiers, d’entrepreneurs
en bâtiment, d’agriculteurs, de
joailliers, de métallos, de mécanos,
de tisserands… Une trentaine de
comités et de conseils de la CCIFR se
chargent des domaines les plus
importants de la production et des
affaires. Les PME et les grosses
entreprises sont représentées. Les
PME sont dominantes. Quelque 74
conseils pour la coopération avec
les pays étrangers s’occupent du
développement des activités écono-
miques extérieures, la CCIFR est
représentée par ses bureaux dans
une quarantaine de pays étrangers.
Quelle est votre mission principale ?
Savoir représenter et défendre face
aux autorités les intérêts des entre-
prises à la condition que ces intérêts
n’entrent pas en conflit avec ceux de
la société dans son ensemble.
Le siège de la CCIFR est à 5 minutes
de marche du Kremlin. Cela a-t-il un
intérêt ?
Nous sommes proches sur le plan
géographique. Mais la chambre de
commerce est par définition une
institution non gouvernementale, non
commerciale et indépendante. Nous
collaborons avec les autorités, exclu-
sivement dans l’intérêt du développe-
ment de l’entreprise. Aujourd’hui, les
défis à relever abondent en Russie,
les entreprises, les PME surtout,
affrontent de très nombreux problè-
mes dans leur existence et leurs acti-
vités. Mais les entreprises existent et
elles se développent. C’est notre
principale ambition. Nos responsabi-
lités concernent tous les domaines
des affaires, l'industrie, le commerce
intérieur et international, l’agricultu-
re, les finances et les services. Une
Cour internationale d’arbitrage dans
le domaine du commerce et une
Commission d’arbitrage maritime
mènent leurs activités auprès de la
CCIFR. Ces institutions ont une très
bonne renommée. La Cour interna-
tionale d’arbitrage dans le domaine
du commerce dépasse, par exemple,
les cours analogues très renommées
de Londres et de Stockholm, quant
au nombre des dossiers en examen.
Comment la CCIFR collabore-t-elle
sur ce plan avec le législateur ?
Quelque 90 lois économiques, adop-
tées en 2017 par notre Parlement,
ont été élaborées avec la participa-
tion de la CCIFR. L’évaluation des
projets de normes légales nous coûte
beaucoup de temps et d’efforts. Nous
évaluons l’action éventuelle des
nouvelles normes – dans l’hypothèse
de leur approbation – sur les affaires,
pour voir si elles améliorent leur
gestion ou, au contraire, elles multi-
plient les handicaps. De nombreuses
règles gênant la gestion des affaires
ont été exclues des projets de loi
à l’étape de l’élaboration de ces der-
niers, suite à notre avis défavorable.
Hélas, nous ne réussissons pas dans
tous les cas…
L’année dernière, nous avons émis
des critiques concernant quelque 150
projets de loi et 60 d’entre eux ont été
révisés. Je trouve que ce bilan est
suffisamment positif. C’est notre
contribution réelle au progrès dans le
domaine des affaires.
Les sanctions et les contre-sanctions
russes sont un sujet souvent évoqué.
Qu'est ce qui a été, à votre avis, le plus
pénalisant ? Avec quels enjeux pour
les entreprises occidentales ?
Concernant les désagréments
résultant de nos contre-sanctions, il
revient aux Occidentaux qui ont été
impactés, d'en parler. Pour nos
entreprises, la limitation d’accès au
marché international des emprunts a
été le point le plus pénalisant, au
cours des premiers mois ayant suivi
les sanctions antirusses. Sans doute,
est-il dommageable de causer réci-
proquement des dégâts s’évaluant
à des milliards et des milliards,
pendant des années.
Mais ce n’était pas notre choix. Par
ailleurs, l’économie russe s’y est déjà
adaptée et la croissance économique
a repris. Il est très dommage, que les
États-Unis aient fait des sanctions
une méthode de concurrence déloya-
le pour gagner le marché énergé-
tique européen et mondial. Mais le
plus grand obstacle n’est pas là. Le
plus ennuyeux est que l’atmosphère
de confiance que nous avions mis
des décennies à créer avec les
Occidentaux soit compromise. C’est
une très mauvaise leçon. Les deux
parties n’acceptent désormais de
coopérer qu’après avoir pris mille
précautions…
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FRANCE - RUSSIE
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Pierre le Grand.